L'achalasie secondaire à la maladie de Chagas : Pathophysiologie, diagnostic et prise en charge
L'achalasie est un trouble moteur de l'œsophage caractérisé par une incapacité de l'œsophage à se contracter et à relâcher correctement le sphincter inférieur de l'œsophage (SIO), entraînant des symptômes de dysphagie et de régurgitations. Bien que l'achalasie soit généralement idiopathique, elle peut également être secondaire à diverses causes, dont la maladie de Chagas. La maladie de Chagas, une parasitose causée par Trypanosoma cruzi, est une infection endémique dans de nombreuses régions d'Amérique latine. Elle peut entraîner des complications graves, notamment une forme spécifique d'achalasie.
1. La maladie de Chagas et son impact oesophagien
La maladie de Chagas est causée par l'infection par Trypanosoma cruzi, un protozoaire transmis par la piqûre de triatomes (puces assassin), ainsi que par la transmission congénitale, la transfusion sanguine ou l'ingestion d'aliments contaminés. La phase aiguë de la maladie, bien que parfois asymptomatique, peut évoluer vers une phase chronique qui, au fil des années, peut entraîner des complications graves, notamment des troubles cardiaques et gastro-intestinaux.
Les troubles gastro-intestinaux, en particulier l'achalasie, représentent des manifestations fréquentes dans la phase chronique de la maladie de Chagas. L'atteinte œsophagienne est liée à une dénervation progressive de la musculature de l'œsophage, causée par l'invasion du Trypanosoma cruzi et une inflammation chronique des tissus nerveux.
a. Pathophysiologie de l'achalasie secondaire à la maladie de Chagas
L'achalasie dans le cadre de la maladie de Chagas résulte de l'infection du plexus nerveux myentérique de l'œsophage. Ce plexus, qui est responsable de la coordination des mouvements de contraction et de relaxation de la musculature œsophagienne, subit une destruction progressive par le parasite. Le Trypanosoma cruzi affecte principalement les neurones ganglionnaires, perturbant la motilité normale de l'œsophage et entraînant une perte de la relaxation du SIO.
La perte de fonction nerveuse peut entraîner deux phénomènes principaux :
- Absence de relaxation du SIO : Le sphincter inférieur de l'œsophage ne se relâche pas correctement lors de la déglutition, empêchant le passage normal des aliments dans l'estomac.
- Perte de la motilité œsophagienne : La coordination des contractions musculaires de l'œsophage est perturbée, ce qui empêche l'œsophage de propulser efficacement les aliments.
Au fil du temps, ces dysfonctionnements entraînent une dilatation progressive de l'œsophage, particulièrement dans sa portion inférieure, ce qui conduit à des symptômes de dysphagie sévère et de régurgitations alimentaires.
2. Symptômes et diagnostic de l'achalasie secondaire à la maladie de Chagas
Les symptômes cliniques de l'achalasie secondaire à la maladie de Chagas sont similaires à ceux de l'achalasie primaire, mais la distinction peut être importante en raison des causes sous-jacentes. Les symptômes comprennent :
- Dysphagie : Difficulté croissante à avaler, particulièrement pour les solides, qui peut s'aggraver avec le temps.
- Régurgitation : Les patients peuvent régurgiter des aliments non digérés en raison de l'incapacité de l'œsophage à évacuer correctement les contenus.
- Douleur thoracique : Certains patients rapportent une douleur thoracique associée à des épisodes de dysphagie ou de régurgitation.
- Perte de poids et malnutrition : En raison des difficultés à ingérer et à digérer les aliments, de nombreux patients peuvent perdre du poids et souffrir de malnutrition.
- Reflux gastro-œsophagien : Bien que l'achalasie soit généralement associée à une absence de reflux acide, dans certains cas, un reflux secondaire peut se produire en raison de la dysfonction du SIO.
a. Diagnostic
Le diagnostic de l'achalasie secondaire à la maladie de Chagas repose sur une combinaison d'examen clinique, de tests diagnostiques spécifiques et d'imagerie. Les tests clés incluent :
- Manométrie œsophagienne : La manométrie est l'examen de référence pour diagnostiquer l'achalasie, permettant de mesurer la pression dans l'œsophage et de vérifier l'absence de relaxation du SIO, ainsi que la perte de motilité du corps œsophagien.
- Endoscopie digestive haute : Bien qu'elle soit généralement utilisée pour exclure d'autres causes de dysphagie (comme les tumeurs), l'endoscopie peut également permettre d'observer la dilatation œsophagienne, qui est typique de l'achalasie.
- Radiographie avec ingestion de baryte : Cet examen peut montrer une image typique de "l'œsophage en sabot", caractéristique de l'achalasie avancée, où l'œsophage est dilaté avec un rétrécissement du SIO.
- Sérologie pour la maladie de Chagas : La détection d'anticorps contre Trypanosoma cruzi dans le sang permet de confirmer l'infection. Une sérologie positive, associée à des symptômes de dysphagie et d'achalasie, orientera vers la maladie de Chagas comme cause sous-jacente.
3. Prise en charge de l'achalasie secondaire à la maladie de chagas
La prise en charge de l'achalasie secondaire à la maladie de Chagas doit être adaptée aux caractéristiques spécifiques de la maladie, ainsi qu'à la sévérité des symptômes. Les options de traitement sont similaires à celles de l'achalasie idiopathique, mais des considérations supplémentaires sont nécessaires en raison de l'étiologie parasitaire sous-jacente.
a. Traitement médicamenteux
- Nitroprussiate de sodium : Bien que rarement utilisé, ce médicament peut être administré en cas de crise de dysphagie aiguë, car il favorise la relaxation du SIO.
- Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) : Bien qu'ils ne traitent pas directement l'achalasie, les IPP peuvent être utilisés pour gérer les symptômes de reflux gastro-œsophagien qui peuvent accompagner l'achalasie.
- Médicaments prokinétiques : Ils peuvent être utiles dans certains cas pour stimuler la motilité œsophagienne, bien que leur efficacité soit limitée.
b. Dilatation pneumatique
La dilatation pneumatique est l'une des principales options thérapeutiques pour l'achalasie, y compris dans le cadre de la maladie de Chagas. Elle consiste à insérer un ballon dans le SIO, qui est ensuite gonflé pour provoquer la relaxation du sphincter. Cette procédure permet de soulager les symptômes de dysphagie, mais elle peut nécessiter plusieurs sessions et comporte un risque de perforation, particulièrement chez les patients présentant des anomalies structurales sévères.
c. Chirurgie de Heller (Myotomie)
La myotomie de Heller, qui consiste à couper les fibres musculaires du SIO pour améliorer sa relaxation, est souvent considérée comme une option pour les cas graves ou résistants au traitement. Cette intervention chirurgicale peut être combinée à une fundoplicature (pour prévenir le reflux) si nécessaire. Chez les patients atteints de la maladie de Chagas, cette intervention peut être plus difficile en raison des caractéristiques spécifiques de l'œsophage chagastique, notamment la fibrose et l'hypertrophie musculaire.
d. Transplantation de l'œsophage
Dans les cas les plus graves, en particulier lorsque l'achalasie secondaire à la maladie de Chagas est associée à une dilatation extrême de l'œsophage et à des complications importantes, une transplantation de l'œsophage peut être envisagée, bien que cela soit rare.
4. Pronostic et suivi
Le pronostic de l'achalasie secondaire à la maladie de Chagas dépend de la gravité de l'atteinte œsophagienne et de la rapidité du traitement. Les patients traités avec succès par dilatation ou chirurgie peuvent connaître un soulagement significatif des symptômes. Cependant, étant donné que la maladie de Chagas est une affection chronique, un suivi régulier est nécessaire pour surveiller l'apparition de nouvelles complications, y compris d'autres manifestations de la maladie de Chagas telles que des troubles cardiaques.
5. Références
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ISBN: 978-3-319-58163-2
Conclusion
L'achalasie secondaire à la maladie de Chagas est une complication grave et souvent sous-diagnostiquée, nécessitant une prise en charge spécialisée pour améliorer la qualité de vie des patients. Les avancées dans les techniques diagnostiques et thérapeutiques permettent aujourd'hui de mieux gérer cette pathologie, bien que les traitements doivent être adaptés en fonction des caractéristiques cliniques et étiologiques de chaque patient. Un suivi régulier est essentiel pour éviter les complications à long terme et garantir une prise en charge efficace.